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     Journal de bord de "Spirit of Arielle"  -  Bermudes - Açores
           

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Journal  les Açores - Saint Martin de Ré

5 juin 2008

 
Position le 5 juin à 10h (TU)
Latitude: 32°27'542N
Longitude: 62°49'348W
Distance parcourue depuis 15h (TU), début voyage de mer: 94 miles
Reste à parcourir: 1738 miles
Vitesse moyenne: 5 kn
Consommation horaire: 2,9734 litres/heure
Consommation spécifique: 0,5947 litres/mile
Baromètre: 1023 mb
Vent: 6,38 kn du 162° (données maxsea)
Houle: 1,03m du 141, en voie d'atténuation
Ciel bleu dégagé sur tout l'horizon
Quelques oiseaux.
Nous voilà donc reparti. Hier, le quatre, nous avons quitté Hamilton pour un bref voyage de .... 5m. Le temps de me rendre compte que le capteur de position du gouvernail ne marchait plus du tout. Fort heureusement, et c'est là une des explications de notre retard, nous avons dû attendre des pièces de rechange, dont un capteur. Donc, retour au quai pour un échange standard, puis réglage des paramètres, avant de démarrer pour du bon. Et cette fois, le pilote semble marcher. Interfacé sur le GPS, il a même accepté de nous piloter (c'est sa fonction première, rappelons-le) pendant......trente minutes. Après, il a recommencé à faire des fantaisies. Qui ont continué jusqu'à Saint Georges, le port de sortie. J'y perds mon latin. Que faire? La météo est parfaite, on ne va quand même pas attendre. D'ailleurs quoi? Un autre pilote qu'il faudra installer, mais surtout attendre? Nous partons, tant pis, on barrera. A la douane, les formalités ont été vite expédiées, on nous a rendu nos fusées, mais pas nos taxes. Il faut écrire.

Depuis la routine s'est installée. Nous nous partageons la barre tandis que l'autre se repose. La nuit, les quarts de deux heures ont repris; dans la journée, c'est plus Patrick qui barre dans la mesure où je vaque à d'autres occupations, comme vider la sempiternelle petite fuite de gasoil dans la cale moteur, ou encore la mystérieuse entrée d'eau sous le cockpit. La première devrait être tarie demain puisque le réservoir fautif sera vide. L'autre restera comme cela puisqu'il est impossible de voir d'où l'eau vient.

La mer une fois encore est immensément vide. Nous avons vu le souffle d'une baleine hier, mais elle nous croisait et on a pas vu plus d'elle. Trois petits dauphins sont venus jouer, et sinon, à part les éternels oiseaux et les non moins éternelles bouteilles en plastique (quatre), la mer est déserte. Mais propre. Hier soir les lumières d'un bateau ont été un peu visibles sur bâbord, mais sa route s'écartant, nous ne l'avons pas vu.

Aujourd'hui, Arielle Cassim, la marraine du bateau nous a appelé et nous avons fait une interview en direct d'une dizaine de minutes que vous pouvez aller réécouter sur le site de RFI, émission le Magazine de la Mer ou la météo marine, vers 13h50. La qualité de la communication n'était pas excellente, mais pour finir c'est bien passé.

Nous devrions arriver vers le 18, à la vitesse actuelle, mais qui est en train de diminuer. Apparemment, nous avons l'effet conjugué du léger vent et du courant qui nous enlève un noeud. J'ai choisi (et Patrick était d'accord) une route plus sud que l'orthodromie. Elle est certes plus longue de 50 miles, mais elle nous met surtout 200 miles plus au sud que l'ortho (ligne droite). Or, depuis longtemps je vois que les
dépressions qui passent dans le nord couvrent régulièrement l'ortho, tandis que seule leur frange touche la route sud. D'où moins de vagues, moins de vent. Revers de la médaille, en plus d'être plus longue, cette route est sur le mauvais côté de l'anticyclone, ce qui fait que nous prenons tout un peu moins favorablement en terme de vitesse. Mais c'est plus confortable.

La météo des jours suivants reste aussi favorable, et nous préférons. Nous n'avons pas du tout envie d'avoir à vous raconter des histoires de vagues gigantesques. On aimerait juste arriver le plus vite possible et le plus confortablement.

 

 

 

 

 

 

 

 

6 juin 2008  
Chiffres à 10h TU
Distance parcourue en 24h: 126 Nm
Vitesse moyenne 24h: 5,25 kn
Vitesse moyenne depuis les Bermudes: 5,1402 kn
Distance depuis les Bermudes: 220 Nm
Distance à parcourir: 1612 Nm
Consommation horaire: 3,1208 l/h
Consommation spécifique: 0,5944 l/Nm
Baromètre: 1022 mb
Vent: 6,85 kn venant de 171°
Houle: 1,29 venant de 127°
Ciel dégagé, ensoleillé, quelques cumulus à l'horizon, chaud
La journée d'hier a vraiment été très calme. La mer a eu tendance à s'assoupir, comme le barreur, au fil des heures qui défilaient monotones. Vers 18 heures, le vent était même complètement tombé, ce qui fait que nous naviguions sur une mer d'huile vaguement ondulée. De-ci de-là, ce que je crois être des caravelles portugaises, une espèce d'animal qui gonfle une sorte de bouée bleuâtre surmontée par une voile ondulée transparente semi circulaire, comme une crête, se laissent dériver mollement. Le ciel est légèrement brumeux, jaunâtre, seul le ronron du moteur qui tourne imperturbablement rompt le silence,
accompagné par le léger bruissement de l'eau ouverte par l'étrave.
Peut-être sommes-nous basculés dans la cinquième dimension sans nous en apercevoir.... A part quelques oiseaux, absolument rien à voir. J'ai regardé la carte de l'Atlantique et je pense que nous devrions voir aujourd'hui ou demain des cargos, car nous serons sur la route qui va de l'Europe vers Panama. Pour les routes vers les USA, nous sommes trop bas. Donc, à part un pêcheur ou un cargo maraudeur, peu de chances de voir quelque chose.
Hier cependant a amené son petit lot d'émotions. Emotions qui risquent de se répéter souvent jusqu'à l'arrivée. En effet, après un départ sur les chapeaux de roue, voilà que nous avions ralenti. Prise sur 6 heures, la vitesse et la consommation nous faisaient arriver quasi à sec à Horta, ce qui a conduit a ressortir l'ordinateur et la calculette pour envisager les options. Les instructions nautiques sont venues s'y joindre, alimentant la réflexion. Allions-nous continuer sur la route sud, ou raccourcir en reprenant une orthodromie à partir de maintenant? La différence est de seulement 30 miles, ce qui est peu, mais d'un autre côté, si on n'a plus de fuel pour les faire, 30 miles, c'est beaucoup. La route ortho par contre nous replace sur le bon côté de la dorsale, et donc avec des vents et une mer mieux orientés, mais plus forts. Cela peut être favorable, cela peut aussi être inconfortable. Et puis, dans l'après midi et jusqu'à
maintenant, la vitesse a augmenté sensiblement. Sans doute sommes nous sortis d'un petit courant local contraire. Maintenant, le GPS indique régulièrement largement plus que 6 noeuds, ce qui nous amène à la moyenne des dernières 24 heures à Horta avec les 200 litres de réserve prévus. Ouf. Mais ce n'est certainement pas la dernière fois que nous refaisons ces calculs.
Nous n'avons évidemment pas droit à l'erreur puisque à l'arrivée les vents ne sont pas nécessairement favorables pour se laisser dériver ou lancer nos gréements de secours. Solution ultime, nous pouvons réduire d'un jour notre consommation en s'arrêtant sur une autre île, Florès, située plus à l'ouest, à une journée de navigation, soit environ 100 litres. Nous restons très attentifs à ce paramètre.
Pour le reste, tout va bien, l'équipage a bon pied, bon oeil. Patrick a quelques soucis avec son estomac du fait des anti-inflammatoires qu'il prend à cause de sa sciatique, mange peu, mais sinon, TVB.
Rédiger cette lettre est assez difficile. Le bateau en effet roule un peu, sans arrêt bord sur bord. Je dois donc m'installer dans la descente vers la cabine avant, l'ordinateur dans sa boîte sur le tableau de bord, et ensuite viser les lettres qui bien entendu, en fonction des mouvements relatifs du bateau, et des miens, n'aboutit pas toujours au résultat recherché. Soit je tape pas assez fort et la lettre ne passe pas, soit trop et elle passe deux fois, soit encore, je vise l'une et c'est une autre qui sournoisement vient se mettre sous mon doigt, la jalouse. Bref, c'est assez laborieux. En plus fixer son attention sur quelque chose de si proche avec le bateau qui bouge, faut avoir le coeur bien accroché.
7 juin 2008  
Position à 10h TU
Latitude: 32° 44'686 N
Longitude: 57°36'323 W
Distance en 24h: 139 Nm
Distance depuis le départ: 359 Nm
Reste à parcourir: 1473 Nm
Vitesse en 24h: 5,7917 kn
Vitesse depuis le départ: 5,3662 kn
Consommation horaire 24h: 3,2917 l/h
Consommation depuis le départ: 3,136 l/h
Consommation spécifique 24h: 0,5683 l/Nm
Consommation spécifique depuis le départ: 0,5844 l/Nm
Baromètre: 1017 mb
Mer agitée, ciel bleu moyennement nuageux , cumulus,
Houle: 1,98m du 282°
Vent: 12 kn, du 315°
Ce matin la mer est un peu plus agitée. Une dépression est passée hier et la nuit plus au nord, nous envoyant une houle qui a changé de côté par rapport aux autres jours. Nous la recevons maintenant sur l'arrière bâbord, et tenir un cap est moins simple. Les derniers jours, nous pouvions laisser le bateau de longs moments courir sur sa route en n'intervenant que peu. Maintenant, il faut sans arrêt compenser les
effets des vagues, ce qui réclame plus d'attention et d'efforts. Ah, si nous avions un pilote qui marche.... C'est quand même bizarre que la nouvelle unité fait la même chose que l'ancienne. Il faudra revoir ce
problème aux Açores, là, on ne peut rien faire d'autre que prendre son mal en patience. Hier, nous avons vu notre premier bateau, un cargo vracquier d'environ 50.000 tonnes. Pas très gros donc, mais c'est mieux que rien. Par contre, il est passé dans l'indifférence totale à 2 ou 3 miles, sans même daigner nous appeler à la VHF. Les temps ont bien changé. Lorsque j'étais officier à la marine marchande belge, croiser un autre bateau, a forciori un plaisancier, était l'occasion de rompre la monotonie du voyage. Un coup de vhf, pour demander le nom, le pavillon, leur route, d'où il venait, s'il n'avait besoin de rien. A cette époque où le gps n'existait pas encore, nous donnions même souvent notre position, ce qui leur permettait de vérifier leurs calculs. Aujourd'hui, maintenant que les équipages sont en grande majorité des philippins sous-payès, qui n'ont comme autre objectif que d'envoyer de l'argent chez eux et d'attendre le terme de leur contrat, on n'a plus à faire à des marins, mais à des robots sans âme. Je ne suis pas sûr qu'au nom de la rentabilité on n'ait pas perdu quelque chose, et surtout cette sacro-sainte solidarité des gens de mer. Du moins sur les cargos, car elle reste bien présente chez nos amis pêcheurs. Je me rappelle une année, ce devait être en 78, nous remontions la mer Rouge avec un cargo en venant de Mombassa pour Anvers quand soudain un changement de régime moteur m'alerta. N'étant pas de quart je suis monté à la passerelle voir le second alors de quart. Il me montra un catamaran
rouge, démâté, à la dérive. Rapidement çà été le branle-bas à notre bord et nous nous sommes approchés, tandis que le bosco et ses hommes préparaient déjà un ber sur une cale, et démarrait une grue. Peu de temps après, soulagé, l'équipage était au sec, posé sur une de nos cales. Cela faisait plusieurs jours qu'ils étaient à la dérive, beaucoup de bateaux étaient passés, sans les voir. Un seul, un russe, avait mis en panne et envoyé un peu de gasoil, apparemment pas de bonne qualité. Mais sans grue, il ne savait rien faire. Durant les deux jours que dura notre remontée vers Port Saïd, tout le monde s'y est mis pour aider les infortunés navigateurs. Le bosco a regréé le bateau, le cuisinier garni la cambuse,le maître d'hôtel, fourni quelques caisses de bière, la stewardesse lavé tout le linge, et de mon côté j'ai soudé et renforcé le gouvernail qui en avait bien besoin. C'est un bateau remis à neuf que nous avons posé à l'eau peu avant l'entrée du canal. Autre temps, autre moeurs. Parfois avec Patrick nous rêvons de secourir ainsi un voilier en détresse, avec plein de jolies filles à bord.... Mais bon, c'est du rêve, et puis si nos épouses lisent cela, que vont-elles penser????
Tout cela pour vous dire qu'il n'y a absolument rien à dire aujourd'hui. Tout tourne comme une horloge, nous consommons raisonnablement notre gasoil dans une proportion qui nous laisse espérer ne pas devoir terminer à la rame, donc, tout va bien.
8 juin 2008  
Position à10h TU
Latitude: 33°01'559 N
Longitude: 55°22'641 W
Distance parcourue: 114 Nm
Depuis le départ: 473 Nm
Vitesse 24h: 4,75 kn
Vitesse depuis le départ: 5,2 kn
Consommation horaire: 2,87 l/h
Consommation spécifique: 0,6044 l/Nm
Consommation horaire depuis le départ: 3,066 l/h
Consommation spécifique depuis le départ: 0,5892 L/Nm
Baromètre: 1018 mb
Ciel dégagé 50%, cumulus
Mer belle, agitée, houle 2,30m bâbord avant
Aujourd'hui cette lettre va être courte car acrobatique. Nous prenons la mer de face et il faut s'accrocher pour écrire. Le bateau tosse régulièrement dans les vagues et ce n'est vraiment pas confortable.
Hier à peine envoyé la lettre, nous croisions un autre cargo, plus gros, environ 80.000 tonnes. J'ai essayé de l'appeler ne fut-ce que pour lui demander s'il nous voyait au radar, ce qui est toujours intéressant à savoir, mais il nous a ignoré superbement. Comme quoi, au minimum ils n'assurent pas la veille sur 16, et au maximum il n'y avait personne à la passerelle. Le bateau s'appelait "Tangawa" et avait un grand "K" sur sa cheminée.
Tout va bien à bord.
A bientôt dès que cela bouge moins.
 
9 juin 2008  
Position à 10h TU
Latitude: 33°14'004 N
Longitude: 53°16'808 W
Distance parcourue en 24h: 107 Nm
Vitesse: 4,4583 kn
Consommation horaire: 2,9125 l/h
Consommation spécifique: 0,6533 l/Nm
Distance depuis les Bermudes: 580 Nm
Vitesse moyenne: 5,0479 kn
Consommation moyenne: 3,0339 l/h
Consommation spécifique moyenne: 0,601 l/Nm
Baromètre: 1018 mb
Ciel de traîne, dégagé, ensoleillé
Mer calme, houle en voie d'atténuation, 1,5m
Vent faible
Je profite que le beau temps semble revenu, et avant la prochaine dépression annoncée, pour faire ce mail de grand matin. La journée d'hier, du moins dans sa grosse première moitié ainsi que la nuit avant
ont été éprouvantes. La mer pas nécessairement très grosse, avec des vagues culminant à 2,5m, ne pouvait être taxée de mauvaise. Honnêtement, c'est plutôt ce qu'on appelle du beau temps. Mais pour un petit bateau comme le nôtre et vu l'orientation des vagues, ce n'était vraiment pas très confortable. Le bateau roulait beaucoup, tossait dans la mer, rendant le repos malaisé. L'après-midi s'est mieux passée et depuis, au contraire de ce que la météo annonçait, cela s'est calmé.
En dehors de ces péripéties climatiques, il n'y a pas grand chose à dire. La mer reste désespérément vide. Nous sommes maintenant loin de toutes routes de navigation commerciale et les voiliers ne prennent pas la même route que nous. Ceux qui ont quitté les Bermudes pour les Açores ont deux options habituelles. Soit monter à Newport aux USA, puis après escale traverser direct en Europe, éventuellement en faisant escale aux Açores, soit en montant d'abord 200 miles plus au nord des Bermudes pour aller chercher du vent. Les dépressions que nous fuyons en passant plus au sud que la route directe orthodromique, sont pour les voiliers synonyme de vent. Et donc nous avons peu de chances de les voir. Les autres, ceux qui viennent de Saint Martin ou des Antilles en général, mais plus
souvent de Saint Martin puisque c'est la dernière escale française avant le grand saut, montent généralement soit très haut rejoindre la route nord, soit font un peu de nord vers les Bermudes, sur environ 300 miles puis obliquent sur une ortho vers les Açores. Ils ont plus de vent, selon les années, et mieux placé surtout au départ, ainsi que des conditions de mer plus favorables. Mais fréquemment, il n'y a pas de vent, ou les gens ne veulent pas trop traîner et donc les ponts se couvrent de jerrycans de gasoil pour suppléer Eole aux abonnés absents, anticyclone oblige. Donc, nous ne reverrons tout ce petit monde qu'en arrivant à proximité des Açores, et plus vraisemblablement à la
marina de Horta, et certainement chez le mythique café Sport chez l'ami José (Peter), devant une bonne bière à commenter nos expériences.
J'ai commencé la journée, comme les autres d'ailleurs, à vérifier la consommation. Un voilier sans gasoil, c'est pas très grave, mais un bateau à moteur sans, c'est dramatique. Il faut donc sans arrêt vérifier le stock et adapter la vitesse assez tôt pour être sûr d'arriver. Aujourd'hui, après avoir fait quasiment le tiers du parcours, il devrait nous rester 938 litres d'après le calculateur de débit Floscan, et 905 si l'on se fie à ce qui a été transféré et est déjà vide. Deux réservoirs sont ainsi déjà complètement vides sur les six. Donc, en tenant compte des deux extrêmes de notre consommation spécifique, il nous reste à consommer entre 752 litres et 818. Nous avons donc encore de la marge, mais elle s'amenuise.
Les conditions de mer peuvent changer très vite ces chiffres, donc il faut être prudent. Toutes les six heures je reprends les chiffres pour contrôler. Actuellement le moteur tourne à 1250 t/min. Et pendant que je suis occupé à l'ordinateur, Patrick vaillamment barre. Peu de travail aujourd'hui et la nuit passée, le bateau étant remarquablement stable sur sa route. Parfois, une fois trouvée la bonne position de
gouvernail, il reste sur son cap une dizaine de minutes sans que l'on doive imperceptiblement compenser. Mais là aussi, la mer a vite fait de changer la donne. Un peu plus de vagues, moins bien orientées (par exemple venant de l'arrière) et il faut sans arrêt intervenir. Vivement que le pilote
remarche.
Nous avons aussi moins de soucis que lors de Saint Martin-Bermudes. La fuite de gasoil, déjà bien réduite, est tarie maintenant que le réservoir est vide. Reste la vingtaine de litres qui entrent chaque jour dans le compartiment arrière et qui restent un mystère. D'où vient-elle? Nous l'évacuons très
rapidement grâce à une petite pompe portative achetée à Hamilton, car le niveau d'eau est en dessous du niveau d'aspiration de la grosse pompe de cale. Ces dernières aussi se sont vues nanties d'un col de cygne et plus une goutte ne rentre par là. Globalement, nous sommes dans de bien meilleures conditions. Nous mangeons régulièrement, moins bien Patrick d'ailleurs que sa sciatique conduit à prendre des anti-inflammatoires qui lui détraquent l'estomac. Tous les deux jours, je cuis un pain bio au four (pain emballé sous atmosphère, précuit et à recuire 35min). Nous dormons beaucoup dans la journée vu que la nuit est morcelée en quarts de deux heures commençant à 20h jusque 8h le matin. Patrick commence à 20 heures et je le relaie à 22.
10 juin 2008  
  La mer est très forte et la lettre courte de ce fait. Le bateau bouge
fort, creux 3,50. TVB.


C'est par ces quelques mots que la lettre de ce jour-là a été résumée, tant le bateau bougeait. Mais de manière à ne pas inquiéter tout le monde, dès que cela a été possible, nous avons envoyé un nouveau mail plus rassurant:

Ce petit mail pour vous rassurer: nous flottons toujours. En fait une dépression pas bien méchante (1008mb) nous est passée dessus depuis le début de la nuit hier et est allée en se renforçant, nous conduisant même à mettre en panne durant 3h la nuit, on n'y voyait rien et c'était trop stressant. Au petit matin, nous avons compris en voyant l'état de la mer: 3m de creux au moins. Courant de journée c'est même allé à 4m bien fait. Le vent soufflait pas trop fort, 20 à 25 noeuds, bref, pas un temps à mettre un petit bateau de 6,50m dehors. Mais on y est , faut faire avec. Début d'après midi, nous avons ballasté et rempli d'eau de mer les deux réservoirs de gasoil déjà vides. Cela a été nettement mieux après, le bateau ayant gagné en inertie, et roule donc moins. Vers les 16h, la mer a commencé à tomber. Là il est passé 19h locale (minuit France, 22h TU), et nous avons même mangé un délicieux cassoulet. Pourtant cela bouge encore, il y a encore dans les 2m, mais après ce que nous venons de vivre, cela nous paraît presque plat.
Le bateau lui va super bien, marin en diable, même dans les grandes abattées dues à une vague mal prise, parfois déferlante, il n'a même jamais mis la lisse dans l'eau. Pas un paquet de mer dans le cockpit.
Voilà, là-dessus, nous allons commencer nos quarts de nuit. A demain, si le temps est plus clément. Cela devrait, au moins pour deux ou trois jours, mais avec toujours une mer formée.

 
11 juin 2008  
Position à 10h TU
Latitude: 33°34'379 N
Longitude: 48°24'080 W
Distance parcourue 24h: 121 Nm
Reste à parcourir: 1007 Nm
Vitesse horaire 24h: 5,0417 kn
Consommation horaire: 3,0917 l/h
Consommation spécifique: 0,6132 l/Nm
Consommation spécifique depuis le départ: 0,589 l/Nm
Reste gasoil (Floscan): 800,7 l
Estimation reste gasoil (jauges): 720 l
Besoin sur base moyenne départ: 593 l
Baromètre: 1011 mb
Ciel dégagé, soleil, qlq cirus et stratus
Mer venant de 300, donc +/- parallèle à notre route, 1,5m à 2m épisodiquement.
Vent: faible, secteur nord.
Ouf, cela va mieux aujourd'hui, même si ce n'est pas encore "La croisière s'amuse". En effet, la mer nous arrivant par le travers bâbord, notre route idéale nous fait la couper légèrement en oblique, étrave d'abord. Ce qui veut dire un roulis infernal, et régulièrement, le bateau se met à tosser. Avantage néanmoins, avec une mer pareille, le bateau est remarquablement stable sur sa route. Faire le quart consiste à faire tourner la barre de un à deux degrés toutes les dix minutes. Le reste du temps, quelle que soit la vague abordée, le bateau garde son cap. C'est notre pilote automatique maison, l'autre étant toujours en panne. Pour le reste la mer est déserte. Il y a deux nuits, nous avons croisé assez loin un navire fortement éclairé, navigant lentement. Je suppose, d'après la silhouette lointaine et les projecteurs, que ce devais être un thonier senneur. Longtemps son halo lumineux est resté visible même de l'autre côté de l'horizon. Cette nuit, brièvement, j'ai revu une lueur dans le secteur où il avait disparu, sans doute toujours en train de traquer (et d'exterminer) ces pauvres thons.


Pour revenir sur les événements des dernières heures, en fait ce qui se passe c'est que la saison est très mauvaise. Je le dis depuis longtemps, et cela se confirme. Alors que nous devrions avoir l'anticyclone bien installé, nous avons une succession de dépressions qui sortent des Etats-Unis et viennent écraser ce dernier. Curieusement d'ailleurs, elles ne suivent pas la trajectoire habituelle qui est d'aller inonder l'Europe, et particulièrement la France au mois de juillet, mais en fait se heurtent à un anticyclone plus nordique. Celle qui nous intéresse d'ailleurs n'a pas su passer et a fait demi-tour. Pour le moment elle rebrousse chemin vers Terre-Neuve, mais elle va revenir d'ici trois ou quatre jours. A moins que
d'ici là, les météorologues se soyant trompés (j'espère), l'anticyclone se sera regonflé et la fera monter. Pour le moment, elle est prévue de venir embêter nos derniers jours avant les Açores. Cette dépression quand elle nous a frôlé, faisait 995mb, ce qui n'est pas très creux, mais quand même.
Comme elle était loin (1000 miles), nous n'avons été touché que par sa périphérie, au niveau vent, et un peu plus par la houle qui elle se propage plus loin. C'était donc surtout inconfortable, mais pas vraiment
dangereux. Cela devait entrer dans la catégorie marine du "coup de vent", force 8. Mais pour nous, mais moins que pour un autre bateau de cette taille, c'est quand même mieux d'être au port. Mais bon.


C'est l'occasion de vous parler de la sécurité à bord de Spirit of Arielle. Vous vous en doutez bien, on ne s'embarque pas dans une aventure pareille sans "biscuits". Au niveau sécurité passive, le bateau est, non pas insubmersible, mais quand même difficile à couler. Il est en effet compartimenté de manière quasi étanche, un compartiment sous le cockpit, l'autre sous le carré avec le moteur, et enfin la cabine avant avec la timonerie. En outre, tous les espaces morts ont été remplis de mousse PVC expansé pour plusieurs centaines de litres, ce qui ajouté aux volumes de bois de la construction fait une partie importante du volume de flottabilité. Mais insuffisant pour garantir l'insubmersibilité. Au niveau actif maintenant, les mêmes compartiments étanches sont équipés de pompes de cale à gros débit totalisant une capacité d'assèchement de 30.000 litres/heures, du moins tant qu'il y a du courant. Une pompe de cale à petit débit est montée mixte manuel/automatique et son démarrage (silencieux) est néanmoins une alarme puisqu'un témoin s'allume violemment au tableau de bord, avertissant que l'eau monte dans cette cale (moteur). C'est particulièrement important puisque on n'y regarde pas sans arrêt et que par
exemple, le presse étoupe rendrait l'âme,l'eau monte vite. Le moteur peut lui-même être branché en direct dans la cale pour la vider. Les réservoirs peuvent être vidangés, pas très vite, de manière à augmenter les réserves de flottabilité en situation ultime (et si on a toujours du courant, mais les batteries sont grosses).
Au niveau incendie, nous disposons d'un extincteur CO2 pour la cale moteur, et d'un autre à poudre de 5kg accessible à l'extérieur. Le bateau est équipé d'un radeau de survie quatre places type océan, et doit
donc théoriquement être susceptible d'assurer la survie de 4 personnes durant 3 jours.
Enfin, au niveau communication, nous avons une balise de détresse Epirb, tandis que le téléphone satellite nous permet éventuellement d'appeler nous-mêmes les secours, ou de signaler nos difficultés. Nous avons évidemment VHF fixe et portable, laquelle est d'ailleurs toujours en charge sur son socle.
Au niveau navigation, nous disposons de 3 GPS, celui du bateau, celui lié à l'ordinateur et à Maxsea, et enfin un portable.
Individuellement, nous portons en permanence un bracelet en communication permanente avec un émetteur dans le tableau de bord. Si l'un de nous vient à tomber à la mer durant le sommeil de l'autre, dès que l'on a plus de 15m du bateau pendant dix secondes, une alarme très bruyante retentit et le moteur s'arrête. Permettant éventuellement à l'infortuné de regagner le bord par ses propres moyens si son compère a le sommeil particulièrement lourd.
Au niveau nourriture, nous avons au moins pour deux mois et nous avions au départ plus de 360 litres d'eau, dont 60 litres en bouteilles.
En cas de défaillance du moteur que le mécanicien du bord n'arriverait pas à réparer (dieseliste de formation), il reste deux gréement de secours. L'un est constitué par un parachute de 12m2 aimablement prêté par Wind Aventure à Saint Martin, et l'autre est un classique tangon qu'il faut ériger sur le toit, vers l'arrière de la timonerie sur une cadène spécialement prévue. Reste juste en cas de besoin de faire le gréement dormant proprement dit qui n'existe à bord que sous forme de garcettes. Un petit foc amuré tête en bas peut alors nous tirer gentiment.
Et si c'est l'hélice qui venait à perdre une de ses pales, nous avons de quoi l'arracher (ce ne sera d'ailleurs pas très gai, ni très chaud, mais nous avons des combinaisons de plongée à bord) et la remplacer par une classique hélice à quatre pales que nous avons à bord et qui a été testée.
Voilà, si on y ajoute les indéniables qualités marines du bateau, vous voyez que nous sommes bien parés.

12 juin 2008  
Position à 10h TU
Latitude: 34°03'637 N
Longitude: 45°51'047 W
Distance parcourue 24h: 132 Nm
Vitesse 24h: 5,5 kn
Reste à parcourir: 875 Nm
Consommation horaire: 3,15 l/h
Consommation spécifique: 0,5727 l/Nm
Baromètre: 1013 mb, temps beau, ensoleillé, couvert ce matin, se dégage.
Grains isolés avec pluie durant la nuit.
Mer belle, agitée, 1,5 à 2m de houle venant de bâbord, env. 310°. Vent
10 à 12 noeuds.
Et bien, il n'y a pas grand chose à dire. Depuis que le beau temps s'est ré-installé, on a conservé la houle de côté et donc le bateau roule bien évidemment. La mer est déserte, même les oiseaux se font rares. Pas un bateau, bien entendu. Seuls au monde. Nous avons dépassé la moitié de notre route, et nous sommes dans le neuvième jour de mer. En restent donc théoriquement 7 avant de voir les premiers sommets des Açores sortir de l'eau. Notre consommation est très bonne, à tel point que nous pourrions essayer d'accélérer. Un noeud de gagné dès maintenant nous ferait arriver un jour plus tôt..... ou
jamais. Car s'il nous reste suffisamment de fuel pour le tenter, ce serait oublier la sage précaution qui veut d'avoir toujours une réserve au cas où. Il suffirait de trois jours de vents contraires et de mer
plus fortes pour anéantir nos réserves et nous voir tomber en panne bien avant d'arriver. Donc, sagement, nous continuons notre petit bonhomme de chemin. Heure après heure, notre petit bateau taille sa route dans la mer. Il a notablement réduit ses envolées, maintenant que la mer s'est assagie. Durant le coup de vent nous avons vu le speedo monter parfois dans les surfs à 13,2 noeuds. Maintenant, cela monte rarement à 7,5.
Le plus embêtant, c'est évidemment l'incessant roulis, accentué parfois parce qu'on s'est écarté un peu de la route idéale, soit que c'est une vague qui n'est pas dans l'alignement. Inhérent aux bateaux en général, et encore plus pour les bateaux petits et lents, il ne reste qu'à prendre son mal en patience tout en veillant à sécuriser ses déplacements en se tenant fermement aux mains courantes. Mais pour donner une idée des mouvements, cela n'empêche quand même pas de
cuisiner. Hier pour agrémenter une salade j'ai fait cuire du blé dans une casserole avec de l'eau et rien n'est ressorti. Mais c'est sûr que c'est moins bien qu'un voilier qui lui est appuyé par ses voiles, lesquelles aussi ralentissent, atténuent le roulis. Là, avec l'augmentation de l'inertie du bateau grâce au ballastage, Spirit of Arielle roule un peu moins, moins loin, plus lentement. Mais bon, c'est sûr que nous serons bien contents de mettre les pieds sur quelque chose de stable, encore que les premières heures à terre, on a furieusement l'impression que le sol continue à bouger sous nos pieds. Pour le reste, on rêvasse, les heures passent, on papote. Hier j'ai tenu le crachoir un bon moment pour raconter mes aventures à la Force Navale belge, tandis que Patrick racontait ensuite sa carrière médicale. Puis le soir vient, les quarts. Là, si le jour on peut rêvasser parce qu'on voit la mer, la nuit vaut mieux pas, parce que quelques secondes d'inattention ont vite fait de nous faire dévier de la trajectoire, tombant alors sur un angle qui nous fait tosser brutalement dans les vagues, ce que celui qui dort n'apprécie guère. La journée, pour compenser les nuits morcelées, dès que nous en éprouvons le besoin, l'un ou l'autre, on va se reposer, confiant à l'autre la barre.
La question la plus importante de la matinée étant: qu'est-ce qu'on va manger à midi. Et celle de l'après-midi, ce que l'on va manger au soir. Voilà donc nos journées, remplies aussi pour moi de réflexions sur mes projets, sur les déclinaisons du P214 vers d'autres modèles, sur les améliorations à apporter sur le P41, le gros trawler de 12m que j'aimerais mettre en chantier et auquel je veux adjoindre un bulbe. Et
tout le travail de préparation qui doit être fini pour le Grand Pavois. Seigneur, que de travail.
 
13 juin 2008  
Position à 9h TU (7h local, shift +1h)
Latitude: 34°36'780 N
Longitude: 43°36'053 W
Distance parcourue en 23h: 117 Nm
Vitesse: 5,087 Kn
Distance à parcourir: 758 Nm
Consommation horaire: 3,2522 l/h
Consommation spécifique: 0,6393 l/Nm
Reste dans les réservoirs: entre 570 l(estimation) et 650,3 l(Floscan)
Besoin au régime actuel: 484,58 l
Consommation maxi spécifique: 0,752 l/Nm
ETA: 19 juin 14h TU
Baromètre: 1013 mb
Vent: env. 10 Kn
Mer: belle, agitée, houle de NW 2,5m
Ciel: ensoleillé, cumulus, beau temps.
Température: agréable, mais en baisse. Fond de l'air frais.
La journée d'hier s'est vraiment très bien passée. Le vent s'est levé peu après l'envoi du journal, si bien que nous avons finalement eu une mer plus creuse, 2,5m à parfois une vague à 3m, venant toujours du NW. En fait la grosse dépression est toujours là, relativement stationnaire et elle nous envoye un flux lointain, soutenu, et donc cette mer un peu agitée. Mais elle est vraiment très loin ( environ 1200 miles dans le NNE). Cette nuit, en début de soirée, progressivement le vent est tombé et la mer s'est assagie nous procurant une nuit plus confortable. Ce matin, la mer est encore bien formée, mais moins escarpée, plus longue, et le bateau y taille sa route en se balançant mollement. De temps à autre une vague nous pousse à une amplitude plus grande, mais rapidement le lent balancement reprend, accompagné du ronron régulier du moteur à 1250 t/min. Dans ces conditions, il fait peu de bruit, et on finit par ne même plus vraiment l'entendre. Le ciel parsemé de cumulus de beau temps donne un petit air d'alizés tandis que la mer d'un bleu profond parsemée de-ci de-là de quelques petits moutons blancs, court inlassablement vers l'horizon. Parfois, quelques poissons volants prennent leur envol sous notre étrave, nous ayant sans doute confondu avec un prédateur. Souvent leur course longue d'une cinquantaine de mètres s'achève en replongeant direct dans l'eau. Parfois, les plus acrobatiques, quand le vent est plus fort, s'élèvent soudain et effectuent un virage sur l'aile, gagnent en hauteur avant de replonger.
Hier, nous avons eu aussi par deux fois la visite d'une petite troupe de dauphins qui sont venus jouer devant l'étrave, nous accompagnant quelques minutes, avant de disparaître. Quelle merveille que ces
animaux. Ils filent à une vitesse fantastique, s'évitent, virent à angle droit, sans qu'on ait vraiment conscience qu'ils font un effort important pour aller à cette allure. Les mouvements sont imperceptibles,
mais d'une efficacité exceptionnelle. L'un d'entre eux nous a même fait la grâce de bondir complètement hors de l'eau. Puis nous nous sommes, à regret, de nouveau trouvés seuls, avec seulement parfois l'un ou l'autre petit oiseau. Depuis hier est apparue une nouvelle variété. Petit, le dos noir, le ventre blanc, on dirait une sorte d'hirondelle, la queue bifide en moins. Le bateau va bien. Les travaux effectués à Hamilton, qui auraient d'ailleurs dû être faits avant le départ, ont solutionné pas mal de soucis. Maintenant, tout tourne rond. A part transférer du gasoil une fois par jour, pas grand chose à faire, sinon inspecter régulièrement. Un troisième tank est vide, et le quatrième sous le carré le sera aujourd'hui. Pour le moment, je préfère ne pas ballaster, la situation ne le justifiant pas. La consommation a augmenté légèrement, sans doute l'effet un peu moins positif des vagues et le ralentissement du vent. Les calculs de consommation retiennent l'attention le matin après le point. Vous l'aurez lu dans l'en-tête, normalement, aucun souci pour le moment, mais toujours l'appréhension du lendemain, car après tout, notre arrivée tient à moins d'un dixième de litre de gasoil au mile. La marge est donc faible. Nous serons vraiment très contents en franchissant les jetées de Horta. A moins qu'il faille raccourcir et aller à Florès, un gros jour avant. Notre ETA nous met pour le moment le 19 à treize heure locale, dans les conditions actuelles de navigation, avec en principe encore 90 à 170 litres de gasoil selon le calculateur de débit ou le capitaine (prudent).
L'équipage va bien et se soigne. Au menu depuis deux jours à midi, une gigantesque salade que notre cuisinier (votre serviteur) avait préparée, mélangeant champignons à la grecque, blé cuit, maïs, jeunes carottes, deux boîtes de thon au naturel, du gruyère, une pomme et deux oignons crus hachés menus. Pour ma part, dans mon bol, j'ai rajouté un jus de citron jaune et un peu d'huile d'olive. Patrick, dont l'estomac semble aller un peu mieux depuis qu'il a cessé de prendre (courageusement) ses anti-inflammatoires, a trouvé cela délicieux et a mangé un peu plus que d'habitude. Au soir, coq au vin. Excellent. C'est le seul vin toléré à bord, faut en profiter. Là aussi Patrick, qui reprend un peu du poil de la bête a apprécié, particulièrement le fait que ce ne soit pas gras et les pommes de terre (curieusement bonnes en boîte, selon son expression). Sa jambe le fait toujours souffrir, et c'est vraiment le plus courageux de nous deux de s'être lancé dans cette aventure avec la douleur qu'il avait dès avant le départ. Il est vrai que ses expériences précédentes ne l'avaient pas habitué à ce que ce mal épisodique, mais récurrent, dure aussi longtemps. Il commence néanmoins à dormir mieux. Pour ma part, rien à signaler. La machine fonctionne parfaitement, dans son milieu quasi naturel.

 

 

 

 

14 juin 2008  
Position à 9h TU
Latitude: 35°14'102 N
Longitude: 41°09'641 W
Distance parcourue 24h: 126 Nm
Reste à parcourir: 632 Nm
Vitesse: 5,25 kn
Consommation horaire: 3,2625 l/h
Consommation spécifique: 0,6214 l/Nm
ETA ( à la vitesse des dernières 24h): 19 juin 9h TU
Baromètre: 1013 mb
Mer belle, agitée, houle de WSW, 1,5m
Ciel dégagé, peu de nuages au lever du jour, un peu plus en journée.
Stratus et quelques cumulus.
Vent: SW faible
Si la journée d'hier a été à l'image de ce que j'écrivais, paisible, la nuit a apporté un petit changement. En effet, la houle est passée au secteur WSW, ce qui est curieux car la météo annonçait que le vent allait virer au SW, mais pas la mer qui allait rester NW. Bizarre. La seule chose que cela veut dire, c'est que la dépression est un peu plus sur notre arrière et plus haut que prévu, ce qui est tout bon. Cette orientation de la nouvelle houle n'a pas été sans nous gêner. En effet, durant la nuit, dès que la lune s'est couchée, il devient malaisé d'estimer correctement l'orientation générale de la houle. Il faut alors tester et corriger dès que le bateau commence à taper. Pour préserver un tant soit peu le sommeil de celui qui se repose, nous n'avons donc pas su faire la route idéale, dont nous nous sommes sensiblement écartés vers le nord.
C'est seulement maintenant, à l'heure où j'écris, soit vers 11h locale (13 TU), que nous sommes revenus sur la route. Entre-temps la mer a légèrement changé de course si bien que nous arrivons plus ou moins à garder le cap sans intervenir souvent. Le bateau en effet reste globalement sur sa course sans interventions durant de longues minutes. Au gré des vagues, le compas oscille, mais le bateau revient de lui-même sur son cap. Sans pilote, toujours en grève.
Nous avons par deux fois revu nos dauphins. A croire que c'est la même petite famille qui de loin nous accompagne et vient de temps à autre nous faire un petit coucou, dont un petit bonsoir vers les 18-19h. Ces animaux sont merveilleux et qui ne les a jamais vu évoluer en liberté comme cela, jouer devant vous, se laissant porter par la vague d'étrave, jouant avec nous comme le toréador avec le taureau (sans la mise à mort), ne peut comprendre la tristesse que l'on éprouve a l'idée que ces animaux ont une population en régression par la faute de l'homme. A cela beaucoup de raisons. Nos sonars les gênent, la pollution aussi, mais c'est indubitablement les pêcheurs qui leur causent les plus grands dommages. L'autre jour, je vous disais que nous avions vu ce que je pense être un thonier senneur. Ces navires, véritables usines flottantes, capable de pré-conditionner le poisson, font dans les 60 à 80m. Ce sont de magnifiques navires d'ailleurs. Ils sont équipés d'un immense filet que l'on largue dans l'eau et qui flotte, tel un mur, verticalement dans la mer. A bord, une très grosse annexe, très puissante, posée sur un ber incliné, sera chargée de tirer le filet. Une fois un banc de thons repéré dans le meilleur des cas, par la vigie en tête de mât, mais pour les plus sophistiqués par l'hélicoptère embarqué ou par l'imagerie satellitaire, le bateau largue le filet et l'annexe, tandis que le bateau avance, déroulant le filet, l'annexe entreprend de tourner autour du banc, de manière à ce que la boucle, engagée en partie par le mouvement de l'annexe, en partie opposée par le bateau, rejoigne finalement à nouveau le bateau, encerclant dans ses mailles le poisson, il faut le dire, un peu idiot, puisqu'il pourrait facilement passer dessous. Mais voilà, ce ne lui vient pas à l'esprit. Parfois on utilise même des zodiacs pour tourner autour du banc de poissons et ainsi le resserrer. Il ne reste alors plus qu'à remonter la nasse qui a chaque fois amène des tonnes d'un splendide animal qui finira dans notre assiette, et je dois avouer, que je suis le premier à l'apprécier. Le problème, c'est que les dauphins et les thons sont des prédateurs pélagiques qui ont le même gibier. Il n'est donc pas rare que l'on sorte avec les thons, quelques dauphins. Théoriquement, les pêcheurs vous affirment que les dauphins sont rejetés, ce qui permet de coller de jolies étiquettes sur les boîtes: "dolphins free". La vérité est quand même un peu plus nuancée, car si sans doute, il n'y a pas de dauphins, ou pas de trop dans votre boîte de thon, ceux qui ont été accidentellement pêchés et remis à l'eau n'en sont pas pour autant en pleine forme. En fait, le plus souvent, ils sont morts étouffés par le poids des thons, ou tellement mal en point qu'ils ne tardent pas à se noyer.
Le problème de notre société, c'est qu'elle refuse de payer cher la richesse. Or, la vie animale vivant sur terre est une richesse que celle-ci au travers de millions d'années d'évolution nous a léguée. Au début, nous ne faisions pas beaucoup de dégâts dans ce patrimoine, mais maintenant, avec les moyens technologiques dont nous disposons, mais surtout face à la demande sans cesse croissante, le règne animal est condamné à disparaître à l'état sauvage si nous ne faisons rien. Et ce que nous pouvons faire, c'est au lieu de laisser la loi du marché, la bourse en somme, réguler notre société, et les prix en particulier, il faudrait un organisme centralisateur qui fixe les prix en fonction des paramètres vitaux de protection de notre patrimoine vivant. En d'autres, termes, au lieu de se battre sur les prix pour arriver à offrir toujours moins cher, une qualité forcément de toute manière de plus en plus faible, il faudrait fixer un prix élevé. Le thon, en danger, et bien il est vendu non plus 35 euros le kilos, mais 120. Certains vont hurler. Ben oui, et alors. Ils n'en achèteront plus ou essaieront de gagner plus d'argent. En attendant, la ressource sera protégée. Au profit de qui, me direz-vous? Des plus riches, certes. Et alors. Toute société génère ses déséquilibres. Ils sont dans l'ordre des choses. C'est une vision très socialiste de dire que tout le monde doit être pauvre, que tout doit être pour tout le monde. Mais c'est cette hérésie qui conduit notre planète à sa ruine. Je me rappelle une anecdote de l'époque de Moboutou. On avait alors révélé dans la presse la richesse immense et scandaleuse de ce monarque quand dans le même temps le niveau de vie de son peuple était un des plus faibles du monde. Curieusement, ce qui nous choquait tant, nous européens bien pensants et bien nourris, laissait indifférent les intéressés eux-mêmes. Quand vous interrogiez un africain sur cette scandaleuse richesse, il ne s'en étonnait pas, pour lui c'est normal que le chef ait plus d'argent, plus de femmes, plus de maisons, c'est le chef. Sans pour cela bénir l'ex maréchal-président défunt, je dois avouer qu'un peu de cette sagesse populaire africaine, certes nuancée, devrait nous éclairer. Il y a des riches, ils le sont devenus généralement par leur travail, on n'interdit d'ailleurs à personne de travailler et de devenir riche, et c'est normal donc que ceux-là n'aient pas la même chose que nous. Bien sûr, j'ai toujours rêvé d'avoir une très belle maison, un petit château, un grand yacht, etc, mais pas de quoi jalouser celui qui a les moyens de se les offrir. Plutôt l'envie de travailler pour le rejoindre, et pourquoi pas, avoir le droit de manger du thon comme lui si je veux. Cela marche bien avec le caviar. Vous en mangez souvent vous du caviar? Ben non, parce que c'est cher. Et bien dites vous qu'il y en a qui le mange comme vous vous mangez des oeufs de lompe. Et çà, apparemment, tout le monde trouve cela normal. Voilà, c'était mon coup de gueule du milieu de l'océan. Protégeons la mer, protégeons le monde animal sauvage, ne mangeons que ce que nous élevons, laissons la nature en paix, du moins en partie.
Je terminerai en ajoutant un petit mot au sujet de nos amis les dauphins. Chaque fois que j'en vois qui comme toujours virevoltent devant l'étrave, j'ai une attention particulière pour ce qu se passe devant. Mythe, légende, réalité, je ne saurais le dire, mais tous les marins vous raconteront des histoires de dauphins venus les avertir de dangers imminents. C'est Moitessier, je crois, qui raconte qu'un jour une troupe de dauphins est venue spectaculairement jouer auprès de son bateau. Au début, il les a regardé, mais finit par trouver étrange leur comportement. En effet, toute la troupe, avec une synchronisation sans faille longeait son bateau, gagnait un peu sur l'avant, puis virait d'un seul coup à 30° toujours sur le même bord. Moitessier était quelqu'un de très proche de la nature, il a cru y déceler un message et changea de cap. Quelques temps plus tard il découvrit que s'il avait continué sur le cap initial il se serait planté sur un écueil non signalé. Après le changement de cap, les dauphins sont restés un moment, sans plus répéter leur manoeuvre, puis rassurés sans doute que leur message avait été compris, ils ont disparu. Alors, vrai, pas vrai? Je ne sais, mais il y a tant d'histoires autour de ces sympathiques animaux, que cela ne coûte rien d'être attentifs. Et vous voudriez qu'ils disparaissent vous?
15 juin 2008  
Position à 9h TU
Latitude: 35°49'364 N
Longitude: 38°41'546 W
Distance parcourue 24h: 125 Nm
Vitesse: 5,2083 kn
Reste à parcourir: 507 Nm
Consommation horaire: 3,275 l/h
Consommation spécifique: 0,6288 l/Nm
Baromètre: 1018,5 mb
Temps: ciel couvert gris uniformément, nimbus, pluie et grains
Mer: agitée, un peu désordonnée, houle venant du S voir SSE, 1,5m
Vent: 10 à 15 noeuds
Température: agréable, un peu froid la nuit.
Le jour s'est levé sous un ciel plombé gris, peu engageant. Il ne fait pas forcément mauvais pour cela, mais c'est pas très gai. La nuit il fait un peu plus frais, et si déjà nous dormons depuis un moment avec
une couverture, pour le quart on remet parfois une pelure. Et même, parfois un petit coup de chauffage.
Hier nous a valu une petite joie. En effet, sur les 16 h j'aperçois derrière nous un voilier qui croise notre sillage. Le premier depuis que nous sommes en mer. Un petit coup de VHF plus tard et nous voilà en
contact avec Eric qui navigue seul sur son voilier de 11m appelé Ninive. Il est parti depuis le 31 de Saint Martin et se dirige vers Florès, l'île plus à l'ouest des Açores. Nous dialoguons, échangeons nos expériences. Lui aussi a rencontré des cargos qui l'ont complètement ignoré, l'un d'entre eux lui imposant même, au mépris de toutes règles internationales de navigation, de se dérouter pour éviter l'abordage. Il
a fait la même constatation que nous: pas de veille apparemment. Pire, il a détecteur de radar (un Mer Veille) et a pu constater que fréquemment, le radar , n'est même pas allumé!!! De fil en aiguille, on en est venu à parler radar et il allumé le sien pour nous voir distinctement, malgré la mer agitée. Ce qui ,nous a permis d'ailleurs de quantifier précisément notre éloignement: 3 miles. Du coup nous avons allumé le nôtre, mais rien toujours désespérément vide, même si de petits échos, sans doute les vagues marquent quelques points sur l'écran. Pire, il a éteint son radar et allumé son détecteur sans jamais recevoir quelque chose de nous. Donc,notre radar qui pourtant dans ses auto-tests dit que l'antenne est bonne, n'émet rien du tout!!!!! Espérons qu'à Horta il y aura quelqu'un de compétent. Notre conversation s'est clôturée par notre offre d'envoyer un mail pour lui s'il le désirait, ce qu'il a accepté volontiers. Puis peu à peu, nous nous sommes éloignés et la liaison a été interrompue. Lui aussi il y a quelques jours s'est solidement fait branler (désolé mesdames, c'est le terme consacré) dans le même petit coup de vent que nous. Aujourd'hui, à l'heure où j'écris (12h TU), il nous reste un peu moins de 500 miles (489 exactement) ce qui donne jeudi matin devant Horta. Si tout va bien et que la météo se maintient. Pendant que j'écris le soleil commence à montrer le bout de son nez, c'est tout de suite plus agréable. Je vais reprendre une météo ce matin pour voir. Nous en parlions avec Ninive qui lui disait se contenter des bulletins de RFI. Et puis de toute façon, en mer, tu ne peux plus que subir, alors, la météo. C'est moins vrai dans notre cas, car cela peut conduire à ballaster par exemple, ou raccourcir notre route. Avant le départ, cela permet de choisir plus précisément le moment propice.
Sinon, tout va bien à bord. Le bateau bouge quand même pas mal, pas nécessairement en amplitude, mais en rapidité de mouvements un peu désordonnés, à l'image de la mer pas très bien définie. Ecrire n'est pas facile, même si je le fais à la table du carré, car les balancements continuels et le besoin de stabilité imposé par l'ordinateur oblige à des efforts permanents. Un peu fatigant.
 
16 juin 2008  
Position à 9h TU:
Latitude: 36°35'385 N
Longitude: 36°10'105 W
Distance parcourue en 24h: 135 Nm
Vitesse: 5,625 kn
Reste à parcourir: 372 Nm
Consommation horaire: 3,33 l/h
Consommation spécifique: 0,5926 l/Nm
ETA: jeudi 19 9hTU
Baromètre: 1021 mb
Temps:moyen, ciel couvert, gris, peu de soleil, peu de vent, peu de mer.
Les jours se suivent et se ressemblent de plus en plus. Comme le temps s'est calmé et que nous sommes plutôt en régime anticyclonique, le ciel est lourd et plombé avec par-ci par-là un petit grain. Parfois une belle éclaircie. La mer, sans beaucoup de vent, a perdu de sa vigueur. Nous avons pris une météo hier qui nous annonce une fin de parcours un peu plus venteuse, mais avec mer et vent de l'arrière. La fameuse dépression qui tourne au-dessus de nos têtes depuis dix jours s'est décidée à se
remettre en route. Elle passera même sur les Açores le soir de notre arrivée et le lendemain. Il est temps qu'on arrive. Elle n'est pas trop méchante, mais je préfère la voir au ponton. Les deux derniers jours devraient donc nous voir faire une bonne moyenne. Pour le moment, les chiffres de consommation restent largement en dessous du seuil permis, donc normalement aujourd'hui il doit nous rester à peu près 300 litres pour 343 miles au moment où j'écris. Donc une consommation autorisée de 0,8746 l/Nm alors que nous tournons à 0,6 à 0,65 et que cela pourrait descendre avec les conditions plus favorables. Donc, il ne nous restera pas grand chose, mais il restera (moins de 100 litres). Faut pas se louper. Les prochains jours seront à suivre attentivement.
Aujourd'hui nous avons dé-ballasté un tank avant et ballasté un autre, du même côté, mais plus en arrière, de manière à mieux équilibrer le bateau. Il me semble mieux se comporter maintenant.
Hier, nous avons aussi vu notre premier porte containers, pas un très gros, de l'ordre de 500 à 800 "boîtes", c'est-à-dire un petit, mais bon, c'était un bateau. Je viens d'avoir des nouvelles des Açores, apparemment le technicien sur place travaillant sur les radars ne saura pas faire grand chose de plus que ce que nous avons déjà fait et apparemment Furuno est mal distribué et mal suivi dans ce coin-là. Bon. Problème.
 
17 juin 2008  
Position à 9h TU:
Latitude: 37°18'775 N
Longitude: 33°35'172 W
Distance parcourue en 24h: 132 Nm
Vitesse: 5,5 kn
Reste à parcourir: 240 Nm
Consommation, 3,72 l/h (corrigée)
Consommation spécifique: 0,677 l/Nm
ETA: jeudi 19 à 5h TU
Baromètre: 1020 mb
Temps gris et couvert au matin avec de gros grains autour de nous, se dégageant rapidement. A 9h il faisait superbement bleu. Peu de vent, mer agitée, houle dans l'axe, venant de l'arrière, 2m.
Là, on commence tout doucement à se demander où diable a-t-on rangé les rames. La réponse est évidente: au chantier. Parce que le gasoil commence sérieusement à descendre. Après correction des chiffres du Floscan, pondéré de l'appréciation du capitaine, il ne reste guère lourd dans les réservoirs. Que dis-je, dans LE réservoir. Autant dire que la calculette a chauffé ce matin. Pour finir par accoucher de résultats encourageants: en principe, et selon deux méthodes différentes, il nous faut encore 160 à 162 litres de gasoil quand théoriquement, il en reste 221. Donc en principe, on ne devrait pas ramer. Ou sortir le beau parachute de Manu. La météo prise hier par sécurité montre une évolution plutôt favorable du passage de la dépression qui finalement descend moins bas que prévu et passera au large des Açores. Seul, inconvénient, un peu moins de ce bon vent bien placé que j'espérais.
La journée d'hier a été pareille aux précédentes, calme. Dans la fin de l'après-midi un gros cargo est venu nous distraire un peu, nous rattrapant mais en ayant une route un peu divergente par rapport à nous. Manifestement il vise de passer entre les deux groupes d'îles.
Le bateau passe bien dans cette mer, mais nous louvoyons quelque peu dans la mesure où la mer de l'arrière nous emporte sur un bord ou l'autre régulièrement. Le moteur tourne comme une horloge. Je suis seulement un peu étonné que depuis quelques jours, sa consommation augmente légèrement un peu. Nous étions toujours dans les 75 à 78 litres par jour, et maintenant nous franchissons régulièrement les 80. Et sans tenir compte de la correction du Floscan. Là aussi, une mauvaise surprise. Jusqu'à maintenant il me semblait que les chiffres fournis par l'instrument corrélés avec l'épuisement des réservoirs, étaient relativement cohérent, mais c'était difficile à dire. Lors de la première étape, comme d'ailleurs durant les essais, nous avons vidé un peu tous les tanks en même temps de manière à garder l'assiette du bateau. Cette fois, nous avons vidé les réservoirs les uns après les autres, et comme leur
capacité est connue, la comparaison est plus simple. Reste qu'elle est toujours approximative et le plus souvent liée à la lecture de la jauge, elle-même sujette à caution, l'indication n'étant pas linéaire du fait de la forme des réservoirs. On ne peut vraiment sûr qu'un tank est vide que quand la pompe ne tire plus. De même, on ne peut être sûr que le day tank est plein que lorsqu'il déborde. Or, il est rare d'avoir les deux conditions remplies en même temps. On a donc toujours des approximations. J'avais été un peu alerté par cet écart apparent entre la consommation indiquée par le Floscan et la consommation réelle lors du remplissage aux Bermudes. Je pensais prendre 650 litres, et nous en avions pris pour finir 816. Mais l'écart avait alors été mis en partie sur la marge d'erreur annoncée par le fabricant (+/- 5%) et d'autre part sur le fait que, sans doute à cause d'une bulle dans un tuyau, nous n'avions pas un plein parfait au départ de Saint Martin. Pour preuve le fait que le bateau gîtait d'un bord légèrement. Mais hier, vers 15h, lors de l'épuisement du dernier tank dans le journalier, le doute n'était plus permis. Après calcul, forcément basé aussi sur une appréciation du remplissage quasi maxi du journalier, la marge d'erreur est finalement de 11,56%, ce qui est énorme. Je ne m'explique pas cela, est-ce dû à l'instrument et la qualité du gasoil (excellente aux Bermudes, d'une pureté incroyable) ou un mauvais
calibrage? Il y a aussi que l'instrument est fait sans doute pour le débit maximum (18 l/h) et que dans les faibles débits, son imprécision est plus grande. Je ne sais, mais cela a forcé à revoir tous les calculs. Et donc maintenant à corriger les infos du Floscan. Et corrélé à l'indication de la jauge, cela semble bon. espérons. Parce que encore une fois, j'aime pas ramer.....surtout sans rames. Et Patrick a refusé catégoriquement de mettre les palmes et pousser le bateau. Même menacé de suppression de Figolu (biscuits aux figues, alimentation de base de Patrick).
Encore deux jours, deux nuits, et ça y est.

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Cela allait trop bien. Tout tournait à merveille, il a fallu que le capitaine, qui stresse pour son gasoil se mêle de vouloir récupérer quelques litres par-ci par-là. Le seul problème, inévitable, c'est qu'à mélanger de l'eau de mer et du gasoil dans les mêmes tanks, à un moment donné il y a un problème. Et c'est ce qui est arrivé. En fait, je voulais récupérer le gasoil qui se trouve dans les tuyaux de remplissage des réservoirs. Parfois, dans leur cheminement, je n'ai pu empêcher qu'ils fassent un petit ventre où stagne un peu de gasoil. Mais vu leur diamètre (1,5 pouce), cela fait vite quelques litres. Et comme on est juste, j'ai eu la lumineuse idée de le récupérer en introduisant par le nable de pont un tuyau plus fin accouplé à notre petite pompe à tout faire. Sauf que, au début où j'ai ballasté, j'avais utilisé ces mêmes nables pour remplir d'eau de mer avant finalement de choisir de le faire par la purge basse, ce qui allait bien mieux et qui était prévu dès la construction (les raccords existaient). Or, le gasoil que nous avons chargé aux Bermudes était d'une transparence exceptionnelle. Du coup, dans mon tuyau, je n'ai pas vu de suite la différence entre de l'eau de mer et du gasoil. Quand le soupçon m'est venu, le temps de le confirmer, puis de me rappeler que la succion du gasoil était très proche du fond (une erreur d'ailleurs à rectifier), c'était trop tard, le moteur commençait à ratatouiller pour finalement s'arrêter dans un dernier hoquet. Bon, ben nous voilà en panne au milieu de nulle part, à 185 miles des Açores. Personne ne panique, même pas Patrick pour qui ce genre de situation est inconnue. Pour ma part, j'ai le souvenir douloureux d'une tempête en mer d'Irlande, en plein hiver, avec mon épouse, ou plusieurs fois le moteur nous a laissé tomber ayant dû, bon gré mal gré consommer un gasoil que l'hiver avait rendu très humide à la dernière station service. Même remède ici, d'abord tout drainer, le réservoir qui contenait au moins 5 à 6 litres d'eau, le filtre primaire, plein jusqu'à la gueule, et enfin le filtre moteur. Sans compter le circuit d'injection, pompe et injecteurs. Bref, il a fallu une heure et demie pour nettoyer tout cela et après quelques essais infructueux, parfois un peu précipités avant d'avoir fait tout dans les règles, dans le vain espoir de voir miraculeusement la bête se réveiller, le Perkins a enfin fait entendre son ronron rassurant. Depuis, il re-tourne sans faille à la grande satisfaction de l'équipage. Le capitaine aura un blâme de la compagnie, c'est sûr, le premier lieutenant a été à la hauteur, nous voilà de nouveau en route vers les Açores. Promis, juré, je n'essaierai plus de gagner quelques litres. Comme quoi, le mieux est toujours l'ennemi du bien.

18 juin 2008  
Position à 9 h TU
Latitude: 37°58'851 N
Longitude: 30°57'998 W
Distance parcourue en 24 h: 132 Nm
Vitesse: 5,5 kn
Reste à parcourir: 108 Nm
Consommation horaire: 3,6221 l/h
Consommation spécifique: 0,6339 l/Nm
Baromètre: 1019 mb
Temps: splendide, ensoleillé, peu de nuages, chaud.
Mer: calme, très faiblement agitée, houle env 1 à 1,5m, du 250°
Vent: faible, 7 à 8 kn, secteur W
La fin de la traversée se déroule dans des conditions idylliques. C'est le grand beau temps, la mer est splendide, elle étincelle de mille feux sous un soleil radieux. Vaguement ondulée,elle nous balance gentiment de quelques degrés, guère plus de 5, lentement. L'horizon est désespérément vide, même si hier nous avons quand même vu trois bateaux, un container-ship et deux cargos, dont l'un peu avant minuit. Les nuit sont agréables car c'est la pleine lune aujourd'hui, du coup on y voit très bien, et quand elle part se coucher, le jour pointe. C'est excellent pour nous car nous allons arriver de nuit. En principe on devrait rester un peu à la dérive pour entrer en plein jour, mais vu ce qui nous reste de gasoil, on ne sera tranquilles que bien amarrés à un quai.
Car le gasoil est plus que jamais source d'inquiétude. Ce matin, nous avons prélevé dix litres dans le réservoir pour les garder en réserve ultime. Comme cela, si jamais le réservoir est vide et que le moteur commence à ratatouiller, nous l'arrêtons immédiatement. Remettons les dix litres, redémarrons après avoir réamorcé, et une fois que cela tourne à nouveau rond, nous arrêtons. Comme cela, je suis sûr de disposer de 2 à 3 heures de propulsion si jamais il en est besoin d'une manière absolue. Restera alors plus qu'à se laisser dériver, car le vent est trop faible pour le parachute de traction. Ou attendre le passage d'un pêcheur ou d'un plaisancier pour demander quelques litres.
Les derniers calculs de ce matin montraient qu'il nous fallait encore 68 à 75 litres de gasoil quand le réservoir devrait en contenir encore 137 litres d'après le décompte corrigé du Floscan. J'ai même posé un tuyau en plastique pour visualiser le niveau qui semble correspondre. Mais c'est l'incertitude. Nous sommes un peu dans la situation de l'automobiliste (et cela vous est sûrement arrivé) qui sur autoroute regarde avec inquiétude sa jauge marquant tout proche de la réserve. Dans le même temps, il vient de voir un panneau indiquant la prochaine station à 43 km. Arrivera, arrivera pas? Nous sommes dans la même expectative.
Pour alléger le bateau au maximum, nous avons déballasté, la mer le permettant sans problème. Avec quatre cents kilos de moins, il devrait consommer un peu moins et aller un poil plus vite. Il n'y a pas de petit bénéfice. L'équipage a aussi reçu carte blanche pour se laver sans restriction. Actuellement nous sommes à 90 miles de Horta, et Florès où nous aurions pu choisir d'aller, mais plus tôt, est sensiblement à la même distance sur notre côté gauche. La mer commence à être un peu plus sale, quelques sacs en plastique, vieilles bouées, cartons. C'est d'ailleurs un peu ennuyeux, parce que cela voudrait dire que nous avons un petit courant contre nous et au mieux de côté. Nous allons donc passer notre dernier jour en mer tranquillement, en essayant de ne pas regarder trop souvent la jauge.
 
19 juin 2008                
  Cà y est, nous y sommes. Il est 5h30 TU (local aussi) et nous sommes amarrés dans le port de Horta, non loin de la capitainerie, au milieu de dizaines de voiliers voyageurs. La fin a été quand même stressante avec la jauge qui affichait de plus en plus un air déprimé, mais c'est sans problème que nous sommes arrivés. Dans les derniers miles, quand j'ai été sûr que nous arriverions, j'ai ajouté les derniers dix litres sauvegardés. Il n'aurait pas fallu avoir un peu de vent ou de courant contraire! Plus de détails dans un prochain mail, là, nous allons dormir quelques heures (deux ou trois?), car après faut s'occuper des formalités, du carburant, de l'huile livrée ici par Total, mon tout dernier sponsor et non le moindre. Les précisions viendront aussi, mais d'emblée nous pouvons dire avoir réussi sans doute la plus longue traversée jamais faite par un aussi petit bateau à moteur en autonomie complète. Nous avons dû faire aux environs de 1850 miles avec +/- 1260 litres de gasoil. Tout seulement dans seulement 6,50m.
20 juin 2008  
Horta, île de Faïal, Açores
Temps: moyen, ensoleillé par moment, quelques grains, température
agréable.
 
Quand je réfléchi un peu, je constate qu'en fait ce n'est que hier matin que nous sommes arrivés. Et pourtant, tant de choses se sont déjà passées. La principale étant que Patrick a pris l'avion aujourd'hui pour la France, son état de santé ne lui permettant plus, raisonnablement, de continuer. La sciatique qu'il traîne depuis maintenant plus d'un mois, ne va pas beaucoup mieux. En mer, les anti-inflammatoires qu'il prend pour espérer dormir un peu lui ont mis l'estomac à l'envers, ce qui ne l'incitait guère à manger. Son état de santé se détériorant, il était plus sage de revenir au pays se faire soigner, un bateau qui bouge tout le temps n'étant vraiment pas l'endroit idéal quand on a une sciatique. Me voilà donc bien seul pour la suite de l'aventure. J'ai déjà fait le tour des amis et connaissances, mais malheureusement personne n'est libre. Je vais donc essayer de trouver quelqu'un sur place, ce qui n'est pas gagné. Au pire, je devrais continuer seul, ce qui n'est envisageable que si le pilote au moins marche, et idéalement, si le radar re-marche aussi.
Les premières heures ont été bien occupées par les formalités, vite expédiées, puis par notre déplacement vers le ponton qui nous a été attribué. Ensuite, ce sont les premiers repérages, visiter José (Peter) Azévédo, le patron du fameux Café Sport, lieu mythique de rendez-vous des marins qui a vu passer tous les grands noms de la voile. Puis ensuite Duncan de Mid Atlantic Yacht Service qui a récupéré pour nous l'huile offerte par Total. Cette toute nouvelle huile, qui a été présentée il y a quelques jours à Bordeaux, est optimisée pour réduire d'au moins 3% la consommation des moteurs. C'est donc une première médiatique et en même temps un bon avantage pour moi. Je l'aurai eu plus tôt, j'aurais économisé un cinquantaine de litres durant la traversée, ce qui m'aurait bien aidé.
Puis aussi, il a fallu inventorier les possibilités offertes par les divers commerces. Bref, le temps a passé trop vite, et déjà Patrick est parti. Ce soir, c'était France Inter qui m'appelait pour passer dans l'émission Allo La Planète et sitôt fini, je m'attelle à vous donner quelques chiffres plus précis, maintenant que les calculs sont faits.
Nous avons donc fait 1846,6 miles avec 1225,37 litres de gasoil (d'après le calculateur, 1265 d'après le capitaine. Il restait donc environ 35 litres à l'arrivée, ce qui n'est vraiment pas beaucoup, sur les 1300 que nous avions au début. Nous avons fait la traversée Bermudes Açores en 14 jours, 13 heures et 42 minutes à la vitesse moyenne de 5,2805 noeuds pour une consommation horaire de 3,4639 l/h et une consommation spécifique de 0,656 l/miles. J'aimerais cependant un peu nuancer ces chiffres. Dans l'absolu, cela paraît évidemment peu, mais néanmoins, cela reste encore des chiffres préoccupants puisque cela veut dire qu'il a fallu jusqu'à maintenant plus de deux mille litres pour déplacer deux personnes sur un bateau de cinq tonnes sur 5.000 km. Songez qu'en voiture, disons même un petit camion de 5 tonnes, la consommation aurait été sur un même parcours de 500 litres. Si on rapproche cela d'un avion, sur la ligne Paris SXM, seuls 80 litres auraient été consommés par personne. Comme quoi il faut relativiser et aussi se pencher sur le problème de la consommation de moyens de déplacement ou de loisir, comme le petit bateau à moteur. Les rendements sont catastrophiques et c'est tout l'enjeu de ma traversée et l'objectif de la future course entre Saint Martin et Saint Martin de Ré.
Pour les prochains jours, le programme est assez chargé. Vidange du moteur, du réducteur, entretien général du bateau, réparation du pilote automatique pour lequel une piste est assez probable, le radar, quelques vernis, puis le remise à jour du site internet, les articles. Bref, il y a du pain sur la planche.
Je vous parlerai prochainement de la vie à Horta, de Peter Cafe Sport, des voyageurs dans la marina, et de la fête locale de l'île qui a lieu le 24 (la Saint Jean, solstice d'été).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A Horta, le célèbre "Café Sport", chez "Peter" >>>>>>